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                                   Certains autres soirs il m'arrivait parfois de passer chez Tenebræ dans son appartement parisien avant qu'Elle y soit revenue.

 

          J'avais sur moi son anneau passe des 7 Lunes qu'Elle m'avait prêté et j'allais directement dans le 2ème salon m'assoir sur un grand divan noir : je sortais alors mon petit calepin et un crayon dans l'espoir d'ébaucher un des prochains chapitres de mon roman. Mais comme je commençais seulement depuis peu à me familiariser avec les formes asymétriques de ce salon et celles de son mobilier tortueux d'une si envoûtante étrangeté, j'adorais rester quelques instants d'abord dans la seule clarté du clair de lune à réfléchir et rêvasser à mon roman, puis enfin, je me décidai à allumer une lampe en pâte de verre qui me sembla être de Daum et dont le petit abat jour triangulaire d'un bleu-vert soudain luminescent acheva comme par magie de donner à ce salon les couleurs diffuses feuillues et incantatoires d'une forêt amazonienne.
       

          Conforté par un optimisme créatif débordant mais quelque peu désordonné, je réussis sans peine à noircir plusieurs pages de mon précieux calepin et le temps semblait fondre au fur et à mesure comme glace au soleil entre chaque ligne. Par moment je levais la tête et suivais les lignes rondes voluptueuses et discontinues des meubles bas sur lesquels des bibelots amassés aux quatre coins des Mondes par Tenebræ absorbaient la lumière douce venant de la lampe et se nimbaient d'un bleu maya d'une majesté divine et ensorcelante . Mais c’était surtout un immense portrait noir et blanc de Tenebrae hiératique d'une fulgurante beauté qui aspirait mon regard : haut jusqu'au plafond il me faisait pourtant immédiatement penser, alors qu'il n'y avait aucun rapport direct (ouf !), à une scène du film "Sunset Boulevard" dans laquelle on voit Norma Desmond descendre le grand escalier de son immense demeure.


          D'un bond Enfer sauta sur mes genoux : d'où venait-il encore ? Mystère ! Enfer est le chat de Tenebræ, son ombre féline. À y regarder de près c'est un gros chat de  gouttière des toits de Paris. Sauvé d'une mort certaine par Tenebræ qui l'avait extirpé d'un chantier où, blessé à une de ses pattes, il s'était terré en gémissant sous la pluie derrière des planches. Depuis tout était réparé et, guéri, Enfer était devenu le maître absolu du logis après Tenebræ. Et je ne sais trop pourquoi, j'étais pour ce gros chat à la robe fauve comme les cheveux de sa maîtresse, un humain à peu près acceptable alors que toutes celles et ceux invités par Tenebræ qui tentaient de l'approcher n'avaient droit qu'à l'arc électrique hérissé de tous ses poils surmonté d'un feulement de gorge à faire fuir tout à fait convaincant !

​          Enfer, les yeux déjà voilés, laissa pendre un petit bout de langue rose, puis mit en route le petit moteur doux et régulier de son sommeil : je ne pouvais plus bouger et c'est juste à ce moment là que j'entendis le cliquetis argenté de la porte d'entrée suivi de  deux claquements de chaussures tombant sur le carrelage : C'était Tenebræ ! Enfer soudain bien réveillé bondit tout heureux vers sa maîtresse puis en de lents huit langoureux entre les jambes de Tenebræ, il frotta arqué son cou contre elles. — °° TïęñS tÜ ės lÅ tÔÔå ¿!?¡¿!¡ °° fit Tenebræ en regardant Enfer puis, fixant son regard dans le mien Elle ajouta : °° mºÑ päüVrë Ęñfær ¡!¡ LüĪ lã~bªs•••Ïl ñë t°Ã pªs trºp fæÏt dę mïsæïrës ¿!?¡!¡! °°. Je ne répondis rien (:D) et j'allais me lever quand Tenebræ s'allongea sur le divan comme si je n'y étais pas et fit seulement avec ses jambes un pont soyeux au dessus des miennes.

​          °° jĖ süïS ėrēïñTëę ¡!¡ t°ės•tÜ ºččüpë dē DåmñåTïºñ ¿?¿°° Damnation était une perruche rouge orangé rose que Tenebræ, sentimentale subjuguée, avait cru bon de ramener de notre voyage temporel en 1928. Elle l'avait achetée dans une oisellerie du Pont Neuf mais la malheureuse perruche n'avait pas vraiment bien supporté son premier voyage dans le temps vers 2021 et, depuis, était restée muette ! Ce qui affligeait d'autant plus Tenebræ qui aurait tant aimé pourtant prendre un bain en l'écoutant roucouler ! Et, maintenant, le seul spectacle que daignait nous offrir cette perruche solitaire revêche et outrée était son profil gauche hautain dont l'œil écarquillé bombé comme un monocle semblait nous infliger les plus sérieux et silencieux reproches !

​          Tenebræ me racontait en large et en travers mais surtout à l'horizontale sa journée si épuisante. Et, si je ne redoutais pas en l'écoutant de voir bientôt le délicieux pont de ses jambes s'affaisser, j'entrevoyais de plus en plus et avec crainte l'avenir pour le moins compromis de mon impassibilité ! :D

​          D'un geste discret j'éteignis la lampe Daum, ce qui fit dire à Tenebræ : °° Åh ¿?¿ tÜ pręfæïrëS m°ęčÔÔütër dªñS lë ѺĪr ¿?¿ Bõñ jĖ čºñTïñùė •••°° et je me dois d'avouer ici que c'est en plus et aussi pour cela que j'aime Tenebræ : l'immédiate, oblique, parfaite et constante compréhension qu'Elle a eu dès le début pour ma non accoutumance foncière à la luminosité de son salon !!! :D

 

                   Réellement j'adore, chaque fois que cela arrive, que Tenebræ me raconte ainsi ses journées de dur labeur, et j'avais acquis petit à petit au fil des jours un vocabulaire solide de plus en plus étendu pour donner suite à ses propos. "Vous avez bien fait" , "Bien envoyé ! Non mais quel culot ! Vous ne l'avez pas crue j'espère ?!?!" , "Ah ! Oui ! Sur ce point Tenebræ je Vous donne parfaitement raison" etc etc Tant et si bien que très vite j'arrivais à joindre d'amoureux gestes  à mes paroles. Ce qui, Tenebræ me le confirma chaque fois, n'était vraiment pas plus mal ! :D

 

 

 

 

 

 

 

 

. .. ... mais l'été, dans la douceur du soir, c'était plutôt sur sa terrasse que venait me rejoindre Tenebræ, vêtue d'une robe légère teintée de capucines jaune d'or, roses, bleues, violettes, et orangées. Le plus souvent nous nous allongions alors entre deux des hautes et larges vasques débordantes de fleurs tendrement épanouies qui, au clair de lune, devenaient soudain somptueusement éblouissantes, et nous assistions, enlacés bouches cousues, à leurs feux d'artifice immobiles muets et parfumés.
       
          Une nuit, sur cette terrasse, sous la lueur de grands photophores, Tenebrae et moi, côte à côte allongés sur le carrelage froid qui contrastait avec la soie tiède de sa robe, avons trié ses photos. Et chaque fois qu'Elle me disait d'un air moqueur circonspect et rêveur souligné par ses yeux mi—clos mais perçants : “Ho non !  Celle-ci finalement on peut vraiment la jeter !!!"  je lui disais : "Bon. D‘accord" et je la glissais comme les précédentes rapidement dans l'une de mes poches :D

          Certaines fois Tenebræ organisait chez Elle des soirées avec ses ami(e)s. Je n'y étais pas toujours invité car Elle croyait que je n'y supporterai pas certains d'entre eux et sans doute inversement aussi. En cela, sur le premier point en tout cas, Tenebræ se trompait mais passons. Et d'ailleurs je n'allais pas toujours à celles où Tenebræ m'y attendait pourtant avec impatience car je travaillais fort tard moi aussi parfois. Pourtant, les rares fois où, certain de bien m'y amuser, j'allais à ces fêtes organisées par Tenebræ, j'y retrouvais souvent une personne qui ne manquait pas de m'intriguer car dès qu'elle m'apercevait elle se dirigeait aussitôt vers moi et m'offrait chaque fois la moitié d'un toast qu'elle avait commencé en me disant : "Tenez ! Goûtez celui-ci ! Qu'en pensez-vous ?!? Moi je ne devrais même pas y toucher ! Vous ! Vous avez de la chance au moins !" Je sus plus tard qu'elle s'appelait Dirce, qu'elle était italienne, adorait les macarons au citron de Rizzardini, les films quand ils étaient ridicules bavards et ennuyeux et les petits sacs bleus de Scervino.

          Alors que Dirce me parle de l'Italie et d'Alazza di Sole Selvaggio où elle a longtemps habité, je lui demande si  la petite papeterie Cerratti y existe toujours. Je me souviens fort bien qu'elle était située à flanc de montagne face à la mer, unique boutique de la Via de Lys et qu'elle y était toute entourée de feuillages envahissants bleu-vert sombre et violacés sans cesse remués par les vents maritimes. L'été, certains soirs d'orage, cette illustre papeterie avec sa petite devanture orange et rose lumineuse noyée sous la pluie scintillait comme une petite étoile bienveillante descendue sur Terre. Le carillon distordu rouillé et tendre de sa porte-vitrail fut soudain pour moi, une après-midi de Juin sous une pluie torrentielle, comme une planche de salut :  J'ouvris la porte et entrai pour y acheter des grandes feuilles à dessin dont j'avais absolument besoin. Une vendeuse  séchait avec une serviette ses longs cheveux noirs qui, tout mouillés encore, glissaient sur ses épaules blanches. Elle me parla du temps qu'il faisait et tout en se recoiffant devant un petit miroir ovale me montra des catalogues et aussi des albums de photos du passé ravivées par les lampes douces en demie lune disposées un peu partout sur de longs meubles patinés vernis et secrets dont les longs tiroirs gardaient des feuilles immenses aux couleurs de toutes sortes. "Vedi" me dit alors la propriétaire Signora Cerratti "Qui, niente è mai abbastanza perduto". Lorsque je sortis de cette papeterie, un grand tube sous le bras protégeant mes précieuses feuilles, le soleil  était revenu jouer avec les nuages. J'ai traversé la route et pris un chemin étroit qui descendait en pente raide vers une petite plage où m'attendaient Julie et Fabrizzio et nous sommes allés joyeusement nous perdre à coeurs ouverts dans l' Adriatique

 

       À vrai dire le seul fait d'être avec Tenebræ lors de ses soirées me rendait si heureux et joyeux que je me retrouvais sans même m'en rendre compte à discuter avec des personnes que je ne connaissais pas de choses qui m'étaient totalement inconnues et à propos desquelles je n'avais absolument aucune idée personnelle ou intéressante à faire partager ! J'étais d'ailleurs même souvent complètement  à contre-temps lors de ces discussions : il m'arrivait de rire en plein milieu de choses très sérieuses qui y étaient dites, simplement parce qu'elles me rappelaient des situations tendres et rigolotes que j'avais vécues avec petite Fée Baby)💙(Lala  ~~ en cela j'étais bien pardonnable ~~ et au contraire à d'autres moments je restais de marbre, sérieux et froid en pleine hilarité générale !

                                                                                                                 

 

                                                                                                                 Nous vivons chacun côte à côte à des époques différentes.

 


          Sauf une fois : avec quelqu'un qui restait toujours à l'écart et semblait regarder chacun de nous avec l'oeil désabusé d'un entomologiste à la vue d'une catégorie d'insectes nuisibles qu'il ne connaissait déjà que trop. Juste à coté, de grandes photographies étaient étalées sur une longue table et comme je m'en approchais pour les voir : "Regardez tant que vous voulez mais cela m'étonnerait qu'elles vous intéressent. Il se trompait. Ces photos de hangars désaffectés, de friches industrielles désertées vaincues par la rouille, d'aciéries éteintes d'un rouge noirci, tous ces lieux devenus sans vie reflétaient singulièrement l'image sensible et sans artifice de l'être humain. Ces photos issues d'endroits particuliers touchaient à l'universel et portaient toutes la marque de quelqu'un qui savait voir alors que tant d'autres ne se contentent que de regarder ou d'observer.


          Tout en savourant une 7ème moitié de petit gâteau rond à la vanille offert par Dirce, que je ne reconnus pas tout de suite comme étant des pastéis de nata, j'emmenai Dirce vers un immense canapé rouge flamboyant car, ayant bu un verre de Caipirinha de trop (il en suffit toujours que d'un seul ! :D) elle titubait pendue à mon bras de tout son poids et semblait soudain avoir vraiment perdu tout contact avec le réel car elle ne cessait de me répéter que j'étais le garçon le plus sympathique le plus étonnant de toutes les soirées auxquelles elle avait participé ! Heureusement Tenebræ arriva juste à temps avant que Dirce ne se soit completely dévêtue devant moi.

 

    Soudain en voyant le sourire si tendre que m'envoyait à l'instant Tenebræ,  je compris alors combien il signait ainsi avec ravissement et d'un trait fulgurant la promesse souveraine d'un bonheur éternel et indivisible avec Elle

 


         

 

 

 

 

 

   "Plus j'y réfléchis plus je sens qu'il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens." Vincent Van Gogh