"Plus j'y réfléchis plus je sens qu'il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens." Vincent Van Gogh
L' Étang
Vendredi 16 Juin 1972.
"Pas de regrets ? Tu ne préfères pas la mer ? C'est sûr ?"
Laurence qui cherchait dans son sac ses lunettes de soleil :
"Je n'ai jamais vu l' Auvergne et puis nous allons à Brighton en Août mon tout Chéri ! Non vraiment ! Une semaine rien qu' à Nou2 dans un petit gîte en pleine campagne c'est parfait ! Ce sera le calme et nous ferons de belles balades."
"J'ai vraiment eu de la chance en tant que prof' de pouvoir prendre ces quelques jours de Juin avec tous les examens qu'il y a."
"C'est vrai François que pour moi c'est toujours plus facile. Au labo on s'entend tous très bien."
"Normalement nous devrions arriver vers 17h. Ta R5 rouge toute neuve est un vrai petit bijou de course mon Cœur !".
Et c'est effectivement vers 17h que François et Laurence arrivent à Versacq.
Avant de rejoindre le gîte ils vont dans une épicerie faire quelques courses. Laurence en profite pour demander au commerçant si il y a des endroits intéressants à voir dans les alentours.
Une cliente devance l'épicier et dit à Laurence :
"Il y a la Chapelle Neuville qui est une très belle chose. Et il y a aussi l' Étang."
François soudain tout surpris : "Ha bon ??? Il y a un étang par ici ??? Je ne l'ai pas vu pourtant sur la carte."
La femme de l'épicier s'empresse de répondre avec jubilation :
"Ho ! Vous n'êtes pas le premier à nous faire cette remarque !!! La municipalité a eu beau s'en plaindre : les cartes et les guides ne le signalent toujours pas. Remarquez : tant mieux car la tranquillité et le respect de ce bel endroit sont ainsi toujours préservés."
Le gîte est situé en haut d'une petite colline et de leur voiture en montant la route étroite qui y mène François et Laurence aperçoivent devant la grille du parc une personne qui leur fait signe de la main. C'est la propriétaire Madame Drom.
Après avoir fait la visite de la maison et l'état des lieux la propriétaire, Laurence et François s'assoient autour d'une table dans le parc entourant la maison et prennent un verre ensemble en discutant des beaux paysages de cette région et du temps magnifique de ce mois de Juin.
François et Laurence sont ravis par l'amabilité charmante et les anecdotes fort drôles que la propriétaire leur raconte.
Mais il arrive parfois que nos sens soudain soient en alerte bien avant que notre cerveau, pourtant lui aussi en éveil, le soit.
François ne remarqua pas tout de suite que chaque fois qu'il posait une question à Madame Drom, celle-ci figeait soudain son visage d'un regard froid et marquait systématiquement un très léger temps d'arrêt avant de répondre.
Quelque soit le genre de question que lui posait Laurence ou lui.
Et plus leurs discussions duraient et plus François sentit une sorte de malaise diffus, une sorte de nausée mentale et physiologique indistincte et pourtant bien envahissante.
François regarde Laurence : il voit bien aussi, à une pâleur inattendue de son visage, qu'elle ressent une même gêne indéfinissable.
Ce n'est pas dans leurs verres d'orangeade que se situe la source du malaise de François et Laurence.
François et Laurence se regardent puis, très vite, ils se ressaisissent et font comme si tout va bien et même répondent en souriant à la question que vient justement de leur poser avec de grands yeux fixes Madame Drom d'une voix lunaire :
"Et pourquoi, donc, avez vous choisi cet endroit pour vos vacances ? Pour - quoi ???"
"... .. .Bon. Dans ce cas - reposez vous bien. Ho - mais je dois partir - il est temps - d'ailleurs on vient me chercher - Nous nous verrons vendredi prochain pour la remise - la remise - la remise des clés - des clés ? - des clés."
Madame Drom se lève et se dirige droit devant elle vers la grille du parc ou l'attend une personne debout devant une voiture noire.
Une fois Madame Drom partie Laurence et François éclatent de rire !!! "Si ils sont toutes et tous comme elle dans la région on va s'amuser !!!" dit François en faisant sauter dans le parc le bouchon d'une bouteille de Crémant qu'il vient de sortir du frigo.
"Une bouteille aussi givrée qu'elle ! Mais pas plus !" ajoute Laurence en sautillant toute heureuse et soulagée de retrouver son François pour elle seule.
Leur chambre est située au 1er étage avec un grand balcon offrant à perte de vue des paysages valonés et montagneux . Laurence et François laissèrent les portes fenêtres grandes ouvertes et leur première nuit dans le gîte fut délicieusement délicieuse, parfumée et ...zzzzzzz Non ! Sans aucun moustique.
Le lendemain matin, pendant le petit déjeuner, Laurence regarde les dépliants touristiques et s’aperçoit qu'il y a une foire à la brocante à Versacq un samedi sur deux et justement ce samedi là.
François qui commence à connaître un peu Laurence la regarde avec des yeux gentiment moqueurs :
‘’Naturellement on n’ira pas !... .. . Tu détestes les brocantes n’est-ce pas ?!?’’
Laurence fait alors sa voix de sirène languissante à laquelle François ne sait toujours pas comment y résister :
‘’Non ! Mais mon Tout Chéri ! Tu sais bien qu’il y a toujours ce petit fauteuil qui manque cruellement dans ma chambre : je vais bien finir par le trouver ! Et puis il me faut évidemment d’autres choses aussi ! On ira dis ?!?!?!!’’
Comme dans beaucoup d’autres villes et villages, les samedis et dimanches sont souvent jours de marché, et cela ajoute un air gourmand à l’atmosphère joyeuse toute mêlée de curiosité enfantine d’une brocante. Celle de Versacq est relativement étendue car les étals et tréteaux débordent et s’invitent jusque dans le Square Lambert qui jouxte la Place Colette.
Et si en plus on est amoureux, comme le sont Laurence et François, c’est un plaisir sans fin de déambuler sans but précis parmi la foule.
‘’Ma maman ne veut pas que je parle à des inconnus.’’
Laurence qui vient de s’arrêter devant un stand regarde la petite fille en robe jaune d’or à volants et qui porte des souliers vernis rouges avec des étoiles jaunes d’or elles aussi.
‘’Alors tant pis pour nous Marguerite...’’ lui dit François avec un air à la fois facétieux et désespéré.
‘’Je ne m’appelle pas Marguerite...'' lui répond la petite fille ''... Je m’appelle Verna !’’
‘’ Ouiiiii… C’est pourquoâââ ???’’ fait une voix derrière Laurence et François qui se retournent alors :
‘‘Ho désolé Madame mais ma compagne m’interdit de parler à des inconnues » répond François en regardant la femme en noir aux longs cheveux qui venait de les apostropher, et qui, en haussant les épaules, s’adresse à Laurence directement :
‘’Oui ??? Vous désirez ???’’
‘’Nous étions en train de regarder la table que vous vendez et je me demandais si par hasard vous n’auriez pas un fauteuil en dehors de ce que vous présentez ici.’’
‘’Mais quel genre de fauteuil cherchez vous ??? C’est un peu vague ce que vous me dites.’’
Laurence regarde en souriant François qui enchaîne : ‘’Oui. Nous cherchons un fauteuil qui change la vie : un vrai fauteuil quoi !!!’’.
La femme en noir ne relève pas la réponse de François et s’adresse à Laurence : ’’Repassez samedi prochain je vous montrerai en photos les fauteuils que j’ai encore.’’
‘’Hélas samedi nous serons déjà repartis.'' répondit Laurence.
‘’Maman… ...Maman … Tu n’as qu’à leur donner ta carte… Hein Maman ???’’
‘’Mais oui !!!!!…’’ dit François ‘’… Cette enfant est la raison même !!! Donnez-nous votre carte et nous vous recontacterons une fois arrivés à Paris. ‘’
La femme en noir passe une main tendre et caressante dans les cheveux de sa fille et ce simple geste lui adoucit la voix et elle tend à Laurence une carte de visite en ajoutant : ‘’Mon téléphone est dessus – laissez moi un message avec vos coordonnées car je suis rarement joignable.’’
''Ho ! Tout s’arrange ! Donc !’’ dit François en regardant Verna qui était en train de lui faire une grimace souriante des plus extravagantes tout en clignant comme des étoiles ses grands yeux.
Un peu plus loin Laurence s’arrête pour regarder des vêtements.
‘’monCœur je vais voir un instant le stand à côté qui vend des disques. Il y a peut-être des raretés. Je reviens tout de suite.’’
‘’Prends ton temps mon tout Chéri. ‘’ lui dit Laurence qui avait déjà choisi un chemisier et une robe d’été.
Arrivé devant le stand du disquaire, François fouille dans le bac des albums quasi neufs qui semblent tous venir tout droit des États-Unis.
Le vendeur s’approche de François : ‘’Vous y allez quand ???.’’
François sort un des disques du bac et tout en le montrant au vendeur il lui dit à mi-voix :
‘’Demain en début d’ après-midi. Pourquoi la NASA s’intéresse t’elle tant à cet étang ???’’
Le vendeur en rigolant lui répond cette fois dans sa langue natale :
‘’Oh ! My friend ! Tomorrow you will know it right away ! Believe me ! ‘’
‘’Ok ! Ok ! Je vous téléphone dimanche soir et on avisera.
Je vais prendre ce disque rarissime : une demo de ‘’Smile" des Beach Boys. Je ne suis pas venu pour rien !!!’’ lui dit François en rigolant à son tour.
Puis François part rejoindre Laurence et la découvre dans une nouvelle robe en train d’acheter 2 autres vêtements.
‘’Si j’m’attendais !!! ma belle Chérie laisse z’en quand même pour les autres !!!’’
’’Qu’en penses tu mon Toi ?!? Ne suis-je pas ravissante dans cette robe jaune ??? ‘’
‘’Tu étais ravissante aussi avant cette robe ! Dis-donc ma toute Chérie, pendant que j’y pense : Un type m’a parlé de l’ Étang, tu sais l’ Étang dont parlait l’ épicier hier. On pourrait y allez le voir demain qu’en dis-tu ? On pique-niquera, on verra bien.’’
Laurence, toute heureuse de ses achats, acquiesce : ‘’ Il y a une sorte de petite plage aménagée mais on ne peut pas se baigner dans cet étang m’a dit l’épicière. J’emmènerai mon nouveau maillot quand même !!!’’
‘’Ha ?!! Parce qu’en plus tu as un nouveau maillot ?!?!!!!!’’ dit François subjugué.
Dimanche 18 Juin 1972
Il est 15 h lorsque François et Laurence arrivent à l’ Étang après avoir pique-niqué dans la forêt toute proche.
Laurence est littéralement enchantée car l’ endroit aménagé comme une véritable plage de bord de mer et les arbres tout autour en font une sorte d’oasis idéale sour le ciel bleu ensoleillé de Juin.
Laurence, déjà en maillot de bain, étale une grande serviette de plage sur laquelle François et Laurence assis balaient du regard l’étang et les gens qui comme eux se sont installés sur cette plege pour y passer cette radieuse après-midi de dimanche.
François voit un peu plus loin devant eux sur la gauche un jeune couple avec deux enfants, un petit garçon et une petite fille : le petit garçon est à peine plus âgé et ces 2 enfants doivent avoir entre 5 et 7 ans.
Le petit garçon qui joue avec sa petite sœur porte un short de plage bleu ciel et un T-shirt orange. Les 2 enfants rient aux éclats en tournoyant et en se courant l’un après l’autre. Cela fait sourire François en lui rappelant son enfance avec sa sœur à Dinard et leurs jeux qu’ils croyaient être les seuls à connaître !
Un peu plus à gauche encore et plus près de l'étang 2 femmes beaucoup plus âgées, sont assises chacune sur leur petite chaise pliante de plage.
À droite à une vingtaine de mètres une jeune femme en maillot de bain, avec un large chapeau de paille et tournant le dos à l'étang est allongée sur le ventre et lit une revue. De temps en temps elle se retourne et regarde l' étang, les gens, les arbres et le ciel, puis elle reprend sa lecture.
"Tout cela est bien banal et ne respire pas le mystère !" se dit François en observant une nouvelle fois encore la plage et l'étang.
Trois jeunes filles arrivent et s'installent à quelques mètres de Laurence. L'une d'elles à un gros ballon de plage rouge blanc jaune et bleu qu'elle est en train de coincer entre ses affaires et celles de ses amies.
"Quel calme enchanteur ! Il ne fait pas trop chaud : c'est un temps délicieux. dit Laurence en s'allongeant sur le ventre "Si je ronfle réveille moi tendrement comme tu le fais si bien !!!."
En fait Laurence ne risquait pas de s'endormir car, curieuse de tout, elle adorait toujours écouter les conversations des gens autour d'elle, dans les cafés, au restaurant ou, comme aujourd'hui, en été sur une plage.
Les conversations des trois jeunes filles à côté de Laurence ressemblent presque mot pour mot aux conversations qu'elle même avait il y a seulement encore quelques années lorsqu'elle était étudiante avec ses amies.
François reste assis à observer encore les gens autour de lui et il est petit à petit frappé par leur absolue immobilité. Seuls les enfants bougent, virevoltent et courent parfois patauger au bord de l'étang puis reviennent vers leurs parents et reprennent leurs jeux.
Laurence en fermant les yeux sourit aux propos des jeunes filles, puis elle les rouvre tout à coup, éberluée par ce qu'elle entend :
"Alors Sekhmet ???
On le fête où ton anniversaire l'année prochaine ???
18 ans en 2218 !!! : tu vois Orion j'espère !!!
Où oui !!! Pourquoi pas Djet-Sout ???"
Laurence se redresse et va s’ asseoir près de François et tout en lui montrant les trois jeunes filles qui se dirigent avec leur ballon vers l ‘ étang :
"Tu n’as pas entendu ce qu’elles disaient ??? C’était vraiment très surprenant."
"Ho tu sais ma Chérie nous disons tous parfois des choses étranges !!!
Rappelle toi la première fois où nous nous sommes rencontrés !!!."
"Oui c’est vrai tu as raison mon toutChéri !!! : et puis je m’endormais à moitié ! J’ ai dû mal entendre. Allons goûter l'eau !"
Laurence et François mettent leurs pieds dans l'eau et constatent qu'elle est plutôt froide et d'une transparence telle que l'on peut voir chaque détail du fond de l'étang. De légères vaguelettes ondulent. Ce qui incite François à penser qu'il y a une source cachée qui alimente cet étang.
"Dommage que l'on ne puisse s'y baigner mais l' eau est quand même bien froide..." dit Laurence "...Quelle beauté cette eau qui scintille au soleil !!! Un vrai miroir ! C’est divin.""
Laurence et François restent un moment à contempler le paysage autour de l' étang puis ils font demi-tour."
Alors qu' ils regardent un moment les trois jeunes filles en train de jouer au ballon, François et Laurence sont stupéfaits de leur virtuosité. Leur ballon s' envole très haut dans le ciel puis d'un bond vertigineux il redescend en flèche et stoppe net sa course pile sur la tête de l'une des jeunes filles qui le renvoie vers le ciel et qui "atterrit" sur la tête de l'une des deux autres jeunes filles et ainsi de suite.
"Wahooo !!! Quelle adresse !" dit Laurence émerveillée.
François est ébloui lui aussi mais une autre chose l'intrigue.
En effet le petit garçon en short bleu et T-shirt orange n'est plus avec ses parents et il est parti s'allonger à côté de la jeune femme au chapeau de paille avec qui il discute en riant..
Et plus surprenant encore : la petite fille avec qui jouait le petit garçon n'est plus, elle non plus, ni avec le petit garçon ni avec ses parents mais François la voit maintenant assise sur un petit siège pliant entre les deux femmes agées.
Et la femme et l'homme, qui avaient semblé à François comme étant les parents de la petite fille et du petit garçon, ont disparu !
En retrouvant leurs affaires Laurence et François découvrent le ballon des trois jeunes filles sur leur grande serviette de plage. Les trois jeunes filles ont disparu elles aussi. Ne reste plus que leur ballon !
François se tourne vers Laurence.
Mais ce n'est plus Laurence et cette femme lui dit :
"Antoine il est temps de rentrer : François et Laurence nous attendent."
FIN